"Je me récite des phrases collées dans ma tête. Fixe le tissu rendu sur l'armoire, le même motif se répète, des courbes et des couleurs faibles. Je cherche des mots incrustés. Cherche un point dans ma tête avec des mots comme des taches, qui restent. "
Christine Angot .... Voilà un écrivain sur lequel tout le monde ou presque a un avis sans forcément l'avoir lue d'ailleurs. Intriguée par la polémique qui a éclaté lors de la parution de son roman
L'Inceste puis par le singulier personnage au visage si doux mais au regard si dur que me renvoyait mon téléviseur, j'ai lu l'objet du scandale et j'ai vécu une forte expérience de lectrice : happée par un style, par une voix, par un registre nouveaux pour moi mais, surtout, happée alors même que le sujet en lui-même ne m'intéressait guère. Happée et ennuyée parfois, choquée aussi de temps en temps, tout cela en même temps. Cela faisait longtemps qu'un livre ne m'avait autant interpellée et c'est parce que c'est aussi cela la littérature, cette capacité à capter tout en chamboulant, que, quelques années plus tard, j'ai récidivé avec
Pourquoi le Brésil et j'ai à nouveau vécu cette même expérience ambivalente. Je me suis alors un peu documentée sur Christine Angot, sur son œuvre et je suis tombée un peu par hasard sur un tout petit livre au titre en forme de clin d'œil shakespearien qui m'a tout de suite plu : moins de cent pages mais un récit que j'ai relu souvent, un récit de ceux qui vous accompagnent longtemps et que j'ai soudain eu envie de relire hier.
Not to be est le deuxième roman de
Christine Angot et le dernier dans lequel Christine Angot n'intervient pas en tant que personnage de l'histoire.
Le récit est le monologue paradoxal d'un homme : atteint d'une maladie mortelle qui ne va pas tarder à l'emporter, il ne peut plus communiquer avec les autres mais sa pensée doit rester sans cesse en éveil sous peine d'accélérer sa mort. Ses proches ainsi que l'équipe médicale se relayent à ses côtés pour l'occuper, pour lui parler, pour le maintenir en éveil. Monologue paradoxal donc puisqu'il ne cesse de parler sans que personne ne puisse l'entendre.
La pensée du narrateur divague entre ce qu'on lui raconte, les bruits qui l'entourent, ses souvenirs, les commentaires qu'il aimerait prononcer tout haut, ses interrogations, ses angoisses ... Des morceaux de phrases obsessionnelles entrecoupent des idées plus élaborées. Des souvenirs courcircuitent des événements de son quotidien. Des pulsions deviennent des confidences faites au lecteur, seul "interlocuteur" apte à "entendre" ce que le personnage crie à l'intérieur de lui.
La quatrième de couverture conclut que "c'est l'instant où la vie et la mort se font face, se défient et s'enlacent, c'est l'instant où s'accouplent l'obscène et le sublime" :
Not to be est exactement cela.
Paradoxakement, ce roman n'est pas morbide, encore moins larmoyant. Il est au contraire plein de vie et en cela il contient en germe nombre de thèmes qui seront affinés par l'auteur dans ses autofictions à venir :
la quête de la place qu'on occupe parmi les autres, la question du rapport aux autres et à soi-même, l'angoisse de savoir qui on est, les thèmes de la sexualité, du corps (corps amoureux et corps en souffrance formant un tout), un style alliant déjà violence et poésie ... autant d'ingrédients littéraires qui, au fond, nous parlent de la vie, de
nos vies, des êtres que nous sommes, parfois malgré nous.
Un roman très court mais qui en dit long sur notre (in)humanité.