" Pour ce qu'il avait pu en observer l'existence des hommes s'organisait autour du travail, qui occupait la plus grande partie de la vie, et s'accomplissait dans des organisations de dimension variable. (...) Certains êtres humains, pendant la période la plus active de leur vie, tentaient en outre de s'associer dans des micro-regroupements, qualifiés de familles, ayant pour but la reproduction de l'espèce ; mais ces tentatives, le plus souvent, tournaient court, pour des raisons liées à la "nature du temps".
Il est difficile de parler de ce roman à présent qu'il a obtenu le Prix Goncourt et que tout le monde ou presque a son petit avis à son sujet. Cela m'apprendra à être si lente, puisque j'ai terminé ma lecture la veille de la proclamation du prix mais il me faut toujours quelques jours pour digérer un roman et en faire un billet !
La Carte et le Territoire suit, en grande partie, la carrière d'un artiste, Jed Martin, qui débute grâce à une idée originale : photographier de manière artistique des cartes routières. A part créer des œuvres d'art, Jed ne fait pas grand chose, il fréquente peu de monde, subit l'amour plus qu'il ne le cherche, s'en passe finalement lorsqu'il s'en va. Cela ne l'empêche pas d'observer avec acuité la société qui l'entoure et de la peindre sur des toiles hyper réalistes. Quand l'une de ses toiles se trouve à l'origine d'un crime des plus atroces, Jed se montre à peine ébranlé ...
Le héros de Houellebecq a tout de l'anti-héros, et c'est sans doute cela qui le rend attachant. Personnellement, je pense que l'auteur s'est davantage dépeint dans ce personnage-là que dans celui qui porte pourtant son nom dans le roman, ce dernier ressemblant plus à l'image médiatique qu'on peut avoir de Houellebecq qui doit, forcément, être relativement éloignée de la réalité (un a-social alcoolisé). L'auteur n'en est pas à une facétie près et ce jeu de dupe entre ses personnages et les personnes réelles qui ont pu les inspirer me semble évident. D'autres personnages du roman ressemblent peu ou prou à des gens célèbres, plus ou moins a l'avantage de ceux dont ils portent le nom (Lelay, Pernaut, Lepers, Beigbeder ...). Par ailleurs, plusieurs passages du récit sont caustiques, voire d'un humour grinçant. J'aime assez cet humour discret ! La Carte et le Territoire est donc un roman dans lequel l'auteur (se) joue avec (de) son lecteur, avec la représentation qu'il (se) fait de la réalité, et ce n'est pas désagréable.
L'aspect du roman qui m'a le plus intéressée, c'est la réflexion à laquelle il invite sur l'art. Jed Martin est peu à peu mondialement reconnu, sa cote grimpe de manière exponentielle ... sans qu'il l'ait vraiment cherché ni même désiré, sans qu'il sache trop pourquoi il photographie ou peint ainsi, sans qu'il soit en mesure d'expliquer ce qu'il veut exprimer. Plus qu'à son art, c'est à son attachée de presse qu'il doit sa célébrité ! Implicitement, le roman s'interroge sur ce qu'est l'art, sur ce qui fait l'art et la réponse semble être le hasard , les circonstances, puis un certain effet de mode, plus que le talent ou le projet artistique. Cette problématique est tout à l'image de l'auteur lui-même qui se montre toujours (faussement ?) surpris de l'intérêt qu'on lui porte, un peu comme si ça le dépassait, un peu comme si, une fois l'œuvre créée ou le livre écrit, tout cela n'avait plus tellement d'importance, ni, peut-être, de sens. Dans La Carte et le Territoire, l'essentiel pour l'artiste est de créer, pas d'être reconnu. La preuve en est qu'il accorde une importance très limitée à l'argent qu'il gagne et qu'il ne cherche nullement à entretenir son image ni ses relations, se plaçant délibérément hors de la société qui le porte aux nues. Les médias sont dépeints comme tout puissants en la matière et, là encore, on sent poindre la critique derrière l'humour noir.
J'ai bien du mal à savoir si j'ai aimé ou non ce roman, mes seules certitudes sont que je me suis attachée à son protagoniste et que les questions sous-jacentes sur l'art et notre société moderne m'ont interpellée. Je n'ai en revanche pas aimé (pas compris ?) qu'il y ait finalement deux romans en un puisque, subitement, à partir de la Troisième Partie, le point de vue change et Jed n'est plus au cœur du récit, il n'en devient qu'un personnage très secondaire, comme si une nouvelle ramification l'avait écarté de la route principale. Le personnage nommé Michel Houellebecq occupe alors l'espace textuel et je me suis demandé si le personnage public qu'est devenu l'écrivain (le vrai) n'avait pas effacé l'homme qu'il était (qu'on retrouverait en Jed Martin) et qu'ainsi ce roman serait une métaphore de ce que vivrait notre écrivain ... En même temps, l'époque (future) à laquelle s'achève le roman, certains événements comme la mort de Michel Houellebecq rappellent, si besoin était, que tout ceci n'est après tout "que" de la fiction.
7/7
Photo de Houellebecq © Sophie Bassouls Corbis-Sygma
7 commentaires:
J'ai bien aimé dans ce roman comment l'auteur se jouait de nous, ses lecteurs, mais aussi son sens de la dérision. Du moins, je l'ai interprété ainsi ! :))
j'ai beaucoup aimé ce roman, notamment par le changement de genre et le pseudo autoportrait de l'auteur, tout en dérision.
Je n'ai encore jamais ouvert un Houellebecq. Serait-ce le moment ?
Il est sur ma pal, ton avis est intéressant et me donne envie de l'ouvrir bientôt!
@ Leiloona : j'ai eu un moment de flottement (comme Stephie) puis j'ai pris le partie de lire ce roman au second degré et je rejoins ton avis sur la dérision à l'œuvre dans ce livre.
@ Dolly : j'ai d'abord été un peu agacée par cet autoportrait mais assez vite je l'ai trouvé audacieux !
@ Moka : les avis sont très partagés sur ce livre, il n'y a qu'en le lisant que tu pourras t'en faire une idée !
@ Dan : j'ai hâte de connaître ton sentiment !
tu as réussi à éveiller ma curiosité pour cet auteur qui pourtant ne m'attire pas du tout !
@ Aloysa : merci, ton commentaire me fait bien plaisir !
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