mercredi 1 septembre 2010

Incident de personne d'Eric Pessan

"Un grattement contre la vitre, mais je ne vois rien.
Et rien qui soit visible gratte. Des esprits, des fantômes. Combien sommes-nous dans ce train ? Trois ou quatre cents. Combien de fantômes par personne, libérés par l'inaction et la proximité de la mort violente ? C'est ma question : combien chaque individu transporte-t-il en lui de fantômes ? (...) Cela ferait une belle image dans un film ou un roman : un suicide ouvrirait momentanément les portes verrouillées des mémoires, et des milliers de fantômes se verraient libérés pour quelques heures, ils folâtreraient dans les champs, prendraient des nouvelles du monde, s'indigneraient du peu d'honneur que les vivants leur accorde. Ils dégourdiraient leurs membres immatériels, pressés de s'agiter, sachant que les choses rentreront très vite dans l'ordre, qu'ils se retrouveront très vite cadenassés derrière les préoccupations quotidiennes."


Un homme, dont on ne connaîtra pas le nom, monte dans le Paris-Nantes en espérant ne pas tomber sur un voisin bavard qui lui racontera sa vie. Alors que le train s'arrête brutalement en pleine campagne sarthoise après avoir percuté quelqu'un, le narrateur se surprend à entamer la conversation avec sa voisine, à laquelle peu à peu il va se livrer, sans plus pouvoir s'arrêter. Attentive, sa voisine l'écoute sans beaucoup lui répondre et l'homme se révèle être cassé par les vies que d'autres lui ont racontées, tellement nourri de drames qui ne sont pas les siens qu'il en déborde et se trouve lui-même au bord du gouffre, accablé également par sa propre enfance. 

Ce train arrêté en rase campagne pour une durée indéterminée est le lieu d'un huis clos. Le drame qui se joue à l'extérieur avec le suicide d'un anonyme réveille d'autres drames enfouis au fond de l'âme du narrateur. Unité de temps, unité de lieu, unité d'action ... Incident de personne est composé comme une tragédie et c'en est bien une : la tragédie du quotidien. L'écriture d'Eric Pessan est  belle, forte. Malgré les quelques réponses de la passagère, le récit s'apparente à un long monologue qui alterne les confidences du narrateur et ses pensées intérieures. Le lecteur est saisi et devient, malgré lui, le double de la confidente. 
J'ai aimé le style d'Eric Pessan, j'ai aimé ses choix narratifs ... néanmoins, aux deux tiers du livre, j'ai soudain été lassée par le récit parfois répétitif du narrateur et, surtout, je n'y ai plus cru. L'accumulation de drames m'a semblé suspecte, excessive ... Il est vrai que je n'ai pas l'expérience du métier pratiqué par le narrateur et cause de toutes ces confidences qu'on lui fait, mais j'ai douté soudain qu'il croise tant de gens ayant vécu les mêmes drames et disposés à les raconter ainsi, parfois en public selon le narrateur. Pour autant, j'ai poursuivi ma lecture et j'y ai pris plaisir, à nouveau grâce à la puissance du style. 

3/7

1 commentaire:

René a dit…

J'ai aussi trouvé ce récit très bien écrit et très prenant: le narrateur nous fait visiter son monde intime, ses expériences de vie; c'est une introspection en pleine promiscuité passagère déclenchée sans doute par ce fameux "incident de personne".Je ne l'ai même jamais trouvé ennuyeux, au contraire,au fil des pages,j'ai été de plus en plus curieux de savoir jusqu'où il irait dans sa confession;j'ai senti sa détresse émerger et se développer de façon inquiétante; le désespoir et la solitude sont des terrains propices au suicide;il y avait déjà beaucoup de marqueurs dans son histoire.
J'ai rédigé un commentaire avec d'autres dans mon blog:liredon.sosblog.fr