"Il lui fallut plusieurs minutes pour que cette femme à la robe bordeaux, qu'elle avait déjà acceptée mentalement, qu'elle avait logée, couchée dans le lit de Katitza, à qui elle avait déjà mentalement fait nettoyer chacune de ses pièces, cette femme qu'elle s'était appropriée, il lui fallut plusieurs minutes pour la dépouiller de toutes les vertus dont elle l'avait revêtue. Elle devait à présent lui arracher toutes ses décorations, pour les remettre à celle à qui elles revenaient, à cette jeune fille encore totalement étrangère, maladroite, qui tremblait là devant elle sans cacher son trac."
A défaut de partir en vacances pour des contrées lointaines, j'ai repris le tour du monde littéraire entamé pour le challenge et j'ai choisi pour cette 3ème étape un pays que j'aime, dont j'ai appris un peu la langue il y a quelques années et où je rêve de retourner, avec ma petite famille cette fois-ci : la Hongrie et plus précisément, son incroyable capitale, Budapest.
J'ai lu Anna la Douce de Dezsö Kosztolanyi quand j'étais jeune étudiante de hongrois et je l'ai re-découvert avec bonheur la semaine dernière.
Le roman se déroule à Buda, en juillet 1919, juste après la défaite des "Rouges" qui va bouleverser le quotidien des hongrois, en particulier des bourgeois. C'est justement dans une famille de ce rang social-là que se déroule, presqu'à huis clos, l'histoire d'Anna la Douce, la petite bonne repérée par Madame Vizy et si désirée que la future maîtresse ne vit plus que pour l'accomplissement de ce désir.
De fait, lorsqu'Anna s'installe dans le vieil appartement bourgeois, elle se montre encore plus parfaite qu'on aurait pu l'imaginer, à tel point que tout le monde envie ses maîtres, que tout le monde est impressionné par cette jeune femme qui semble n'avoir qu'un désir : travailler, travailler encore.
Pourtant, la quatrième de couverture n'hésite pas annoncer ce qui marquera la fin du roman : Anna assassinera sauvagement ses maîtres et ne cherchera ni à le nier ni à minimiser sa responsabilité.
L'art de Dezsö Kosztolany n'est donc pas de créer du suspens ni d'écrire un roman policier ; c'est plutôt, de petites touches impressionnistes en scènes apparemment anodines, de nous faire pénétrer l'intimité d'une relation entre maîtres et domestiques, de nous faire ressentir les émotions qu'Anna elle-même ne sait formuler, de nous faire peu à peu pressentir que le drame sera inévitable.
C'est donc un beau roman psychologique mais aussi, dans une moindre mesure, sociologique puisqu'il nous fait voyager dans le temps et découvrir la vie des bourgeois de l'après-guerre en Hongrie. Anna sort peu de chez elle mais lorsqu'elle le fait, le lecteur la suit dans les petites rues de Buda que j'ai arpentées à chaque fois avec émotions tant le lieu est beau (la photo n'est malheureusement pas de moi, les miennes datant d'une époque où le numérique n'existait pas !) et j'ai vraiment eu plaisir à en retrouver l'atmopshère. J'ai aussi aimé que ce roman m'ouvre justement les portes des maisons devant lesquelles je suis passée. J'ai aimé enfin le style, merveilleusement rendu par la traduction, style subtil qui chuchote à l'oreille du lecteur sans rien dire tout haut, qui laisse entendre la petite voix intérieure des personnages sans se lancer dans leur analyse.
Un beau roman intimiste
2 commentaires:
Oh,tu as été étudiante de Hongrois ?
C'est peu courant , ça ! Et après tu as décidé de changer de voie ?
@ Leiloona : en effet, Leil, j'ai eu une première vie cachée :-))
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