"Cet objet sans espoir [le Boléro] connaît un triomphe qui stupéfie tout le monde à commencer par son auteur. Il est vrai qu'à la fin d'une des premières exécutions, une vieille dame dans la salle crie au fou, mais Ravel hoche la tête : En voilà au moins une qui a compris, dit-il juste à son frère. De cette réussite, il finira par s'inquiéter. Qu'un projet si pessimiste recueille un accueil populaire, bientôt universel et pour longtemps, au point de devenir un des refrains du monde, il y a de quoi se poser des questions, mais surtout de mettre les choses au point. A ceux qui s'aventurent à lui demander ce qu'il tient pour son chef d'oeuvre : C'est le Boléro, voyons, répond-il aussitôt, malheureusement il est vide de musique."
Opéra muet de Sylvie Germain (clic !) m'ayant beaucoup fait penser à l'un de mes livres préférés, L'Occupation des sols de Jean Echenoz, je me suis dit qu'il était temps pour moi d'emprunter Ravel de ce même écrivain, paru en 2006 et qui m'avait fait de l'œil en librairie à l'époque.Ravel a 52 ans au début du récit et la première page le trouve ... dans son bain ! On va le suivre ensuite sur le paquebot France qui le mène aux Etats-Unis où il va faire une tournée triomphale puis dans son quotidien de compositeur génial (on assiste notamment à la création du fameux Boléro) mais d'homme difficile à vivre, maniaque, solitaire, volontiers suffisant et, comble du comble : piètre pianiste. Le récit s'achève avec la mort de son personnage auquel la maladie a fait perdre peu à peu ses facultés.
C'est un petit livre (124 pages dans la jolie édition brochée des éditions de Minuit) qui se lit d'une traite mais qui, paradoxalement, n'est pas, à mon sens, d'accès facile.
D'une part, si la couverture précise bien qu'il s'agit d'un roman et non d'une biographie comme son titre pourrait le laisser penser, il est évidemment difficile pour le lecteur de distinguer ce qui relève de la réalité de ce qui a été inventé par l'auteur. A plusieurs reprises, le narrateur intervient pour rappeler que les faits ne sont pas certains, qu'on manque de témoignages ou que l'on ne peut accréditer telle ou telle version d'un événement. Mais puisque justement ces interventions sont a priori celles d'un narrateur et non de l'auteur (puisqu'il s'agit donc d'un roman !), le lecteur ne sait trop de quel jeu il est l'objet : dès lors que le récit est clairement identifié comme romanesque, pourquoi est-il précisé que les faits ne sont pas tous avérés ? Je me souviens avoir lu, lors de la sortie du livre, une critique de Pierre Assouline qui déclarait que Ravel, c'était en fait Echenoz ... ce qui rendrait alors le jeu encore plus complexe !
D'autre part, il me semble que la réception de ce livre dépend de l'expérience échenozienne (si je puis oser ce vilain néologisme) du lecteur. Pour être honnête, je crois que si Ravel avait été mon "premier Echenoz", je me serais ennuyée comme le personnage s'ennuie dans sa propre vie, tant la tentation est grande de confondre le récit d'une vie finalement morne, surtout dans la première partie, avec cet espèce de vide qu'on peut ressentir à la lecture. Or, ce que j'ai surtout aimé dans ce livre, c'est d'y retrouver le ton que j'ai découvert dans Je m'en vais (prix Goncourt 1999), puis dans Les Grandes Blondes, encore dans Cherokee, enfin dans l'Occupation des Sols : ce ton à la fois distancié et malicieux, cette apparente simplicité riche en réalité d'un art incroyable du détail, cet anecdotique élevé au rang de l'essentiel d'un être. J'ai également retrouvé avec Ravel le plaisir de me laisser guider par un rythme inhabituel : d'abord lent puis qui s'accélère au point de survoler plusieurs années d'un coup (comme si le personnage lui-même les avait à peine vécues) pour redevenir lent à la fin. Souvent, on sent une sorte d'urgence qui conduit à un rythme effréné, comme si le temps allait bientôt manquer et le lecteur en est à la fois frustré (pourquoi raconter la vie d'un grand compositeur si c'est pour expédier sa tournée triomphale aux Etats-Unis ?) et perplexe (que faut-il alors retenir de ces pages-là ?). Bref, pour moi, Ravel est tout autant une biographie romancée qu'un jeu littéraire et c'est ce que j'ai aimé.
C'est un petit livre (124 pages dans la jolie édition brochée des éditions de Minuit) qui se lit d'une traite mais qui, paradoxalement, n'est pas, à mon sens, d'accès facile.
D'une part, si la couverture précise bien qu'il s'agit d'un roman et non d'une biographie comme son titre pourrait le laisser penser, il est évidemment difficile pour le lecteur de distinguer ce qui relève de la réalité de ce qui a été inventé par l'auteur. A plusieurs reprises, le narrateur intervient pour rappeler que les faits ne sont pas certains, qu'on manque de témoignages ou que l'on ne peut accréditer telle ou telle version d'un événement. Mais puisque justement ces interventions sont a priori celles d'un narrateur et non de l'auteur (puisqu'il s'agit donc d'un roman !), le lecteur ne sait trop de quel jeu il est l'objet : dès lors que le récit est clairement identifié comme romanesque, pourquoi est-il précisé que les faits ne sont pas tous avérés ? Je me souviens avoir lu, lors de la sortie du livre, une critique de Pierre Assouline qui déclarait que Ravel, c'était en fait Echenoz ... ce qui rendrait alors le jeu encore plus complexe !
D'autre part, il me semble que la réception de ce livre dépend de l'expérience échenozienne (si je puis oser ce vilain néologisme) du lecteur. Pour être honnête, je crois que si Ravel avait été mon "premier Echenoz", je me serais ennuyée comme le personnage s'ennuie dans sa propre vie, tant la tentation est grande de confondre le récit d'une vie finalement morne, surtout dans la première partie, avec cet espèce de vide qu'on peut ressentir à la lecture. Or, ce que j'ai surtout aimé dans ce livre, c'est d'y retrouver le ton que j'ai découvert dans Je m'en vais (prix Goncourt 1999), puis dans Les Grandes Blondes, encore dans Cherokee, enfin dans l'Occupation des Sols : ce ton à la fois distancié et malicieux, cette apparente simplicité riche en réalité d'un art incroyable du détail, cet anecdotique élevé au rang de l'essentiel d'un être. J'ai également retrouvé avec Ravel le plaisir de me laisser guider par un rythme inhabituel : d'abord lent puis qui s'accélère au point de survoler plusieurs années d'un coup (comme si le personnage lui-même les avait à peine vécues) pour redevenir lent à la fin. Souvent, on sent une sorte d'urgence qui conduit à un rythme effréné, comme si le temps allait bientôt manquer et le lecteur en est à la fois frustré (pourquoi raconter la vie d'un grand compositeur si c'est pour expédier sa tournée triomphale aux Etats-Unis ?) et perplexe (que faut-il alors retenir de ces pages-là ?). Bref, pour moi, Ravel est tout autant une biographie romancée qu'un jeu littéraire et c'est ce que j'ai aimé.
Un roman biographique ... ou pas !
2 commentaires:
Jamais lu Echenoz ... je ne commencerai pas par celui-ci, même si le thème m'intéresse. Je serais curieuse de voir si Echenoz a imité le rythme de Ravel. D'après ce que tu écris, il joue sur le rythme. Je ne le note pas, mais je le regarderai tout de même.
Justement, Leiloona, je me suis demandé si le rythme du récit n'épousait pas le rythme du Boléro ... mais je ne suis pas assez musicienne pour le savoir, malheureusement !
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