" Quel apaisement de se dire qu'aucun de nos gestes, aucune de nos paroles ne nous appartient jamais. Aussitôt dit, aussitôt fait, tout s'éloigne de nous ... que dis-je : tout s'éloignait ! Si nous parlions toujours ainsi, nous serions d'avance disparus, nous effacerions toutes nos traces au fur et à mesure de nos pas ... "
(Les Temps du verbe)
(Les Temps du verbe)
Rafafa et moi avons été tellement enchantées de notre lecture commune de La Triple Mort du Client de Tardieu que nous avons décidé de récidiver avec La Comédie du Langage qui figure dans le même volume chez Folio !
Puisque j'ai déjà montré la couverture du livre la dernière fois, j'ai choisi pour aujourd'hui une jolie affiche réalisée par le Théâtre des Damiers.
La Comédie du langage est un ensemble de 9 pièces dont 7 sont courtes voire très courtes. Elles sont à la fois très variées, par exemple par leur tonalité, et complémentaires en ce qu'elles interrogent de manière originale notre rapport au langage. La force principale de cet ensemble est sa faculté à transporter le lecteur / spectateur dans un univers fantaisiste alors même que son thème principal est ce dont nous usons avec (trop de) banalité tous les jours : les mots. J'ai choisi de ne pas évoquer toutes les pièces pour éviter d'en dresser un catalogue ; je n'ai donc retenu que les 3 pièces qui m'ont vraiment marquée.
Le recueil s'ouvre sur une pièce que j'ai vu jouer sur scène par de très jeunes comédiens, ce qui est une réelle prouesse : Un Mot pour un autre. C'est une pièce étonnante, cocasse, je dirais presque merveilleuse au sens littéraire du terme car les personnages prononcent des phrases qui n'ont aucun sens et pourtant, justement, ces phrases elles-mêmes mises bout à bout font sens par un procédé "magique" qui repose sur la phonétique, la musique des mots, le contexte. En lisant cette pièce, j'ai pensé à "l'inquiétante étrangeté" dont parlait Freud, cette impression d'être en présence de quelque chose d'étrange qu'on reconnaît pourtant. Très troublant !
Dès la troisième pièce, Les Mots inutiles, le comique se fait grinçant : Monsieur et Madame Pèrémère (quelle trouvaille que ce nom !) reçoivent celui qu'ils pensent être le prétendant de leur fille et ils ne vont se forger une idée sur lui qu'à partir de ce qu'il dira, ou plutôt ce qu'ils croient qu'il dit. Comme dans la première pièce, les mots ne sont pas toujours à leur place dans le discours mais, cette fois, au lieu de faire sens malgré tout, ils laissent libre cours à l'interprétation car ils restent en permanence dans l'alternative. Les parents de Dora vont donc systématiquement entendre ce qu'ils veulent, pas forcément ce qui est. Cette pièce renvoie le lecteur/spectateur à sa propre capacité d'écoute des autres ainsi qu'à sa manière de porter un jugement souvent péremptoire sur autrui ...
Enfin, après plusieurs courtes pièces comiques, Les Temps du verbe ou Le Pouvoir de la parole surprend, à tel point que j'en ai été toute retournée ! C'est la sixième pièce du recueil mais la première à mettre en scène des personnages individualisés par des noms et des caractères propres. C'est aussi la première longue pièce et c'est à mon sens, surtout, la plus dramatique. Une jeune fille, Anna, s'occupe de son oncle, Robert, qui est dans un état apathique et qui ne s'exprime qu'au passé même lorsqu'il évoque l'instant présent car pour lui dès lors que les choses sont, elles sont déjà finies. Cette approche du langage le maintient dans une a-temporalité permanente qui lui permet de faire vivre son propre passé, bouleversé par la mort de sa femme et de ses enfants. Anna lutte pour faire revenir son oncle vers un présent dont celui-ci ne veut pas. J'ai trouvé cette pièce particulièrement émouvante. Elle est à la fois très onirique (le lecteur / spectateur partage notamment les hallucinations auditives de Robert) et vraiment troublante tant elle pose la question philosophique de l'inhérente inexistence du présent.
Malgré deux pièces qui m'ont moins plu (Conversation-Sinfonietta et Une Soirée en Provence), j'ai cette fois encore été ravie par ma lecture des pièces de Tardieu !
Allons vite lire ce que Rafafa en a pensé !
6 commentaires:
J'aime bien ce que tu dis sur les temps du verbe, j'ai aussi trouvé cette pièce assez émouvante. J'ai très envie de faire jouer "un mot pour un autre" à l'atelier théâtre! Merci encore pour cette lecture commune!
Je vais faire lire "un mot pour un autre" ainsi que les trois suivantes (dans une édition jeunesse), en LC à mes élèves. J'espère qu'ils aimeront!
@ Rafafa : Moi aussi ça m'a donné envie de faire jouer une de ces pièces mais je n'ai pas encore choisi laquelle. Encore merci pour cette lecture commune !
@ Dan : à quelle classe proposes-tu cette lecture ? Je compte sur toi pour nous dire ce qu'ils en auront pensé !
Je suis fan de Tardieu! Une année j'ai monté un mot pour un autre avec des élèves de seconde et ce fut un vrai succès!
Je ne crois pas avoir déjà lu du Tardieu... J'ai beaucoup de lacunes! Mais je note ce recueil... à l'occasion.
J'ai lu la scène d'exposition "Il y avait foule au manoir" avec Dubois-Dupont et j'ai trouvé ça très intéressant. Ce texte offre plein de facettes du comique, c'est plein de facétie et c'est pétillant. Ca change des textes classiques lourds et formels, bien qu'écrits d'une belle plume.
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