" Sa main sèche et nerveuse coupait toujours dans le vide. Angèle avait un léger frisson, devant ce couteau vivant, ces doigts de fer qui hachaient sans pitié l'amas sans bornes des toits sombres. Depuis un instant, les brumes de l'horizon roulaient doucement des hauteurs, et elle s'imaginait entendre, sous les ténèbres qui s'amassaient dans les creux, de lointains craquements, comme si la main de son mari eût réellement fait les entailles dont il parlait, crevant Paris d'un bout à l'autre, brisant les poutres, écrasant les moellons, laissant derrière elle de longues et affreuses blessures de murs croulants. La petitesse de cette main, s'acharnant sur une proie géante, finissait par inquiéter ; et, tandis qu'elle déchirait sans effort les entrailles de l'énorme ville, on eût dit qu'elle prenait un étrange reflet d'acier, dans le crépuscule bleuâtre."
C'est avec quelques jours de retard sur le défi Zola lancé par Moka que je viens enfin parler de ce deuxième roman de la série : j'ai toujours autant de mal à mettre des mots sur ce que je ressens à la lecture de Zola ! De plus, j'ai un lien particulier avec La Curée car c'est le premier roman de Zola que j'ai lu, lorsque j'étais lycéenne, et j'ai encore très nettement en mémoire le choc que j'ai éprouvé, un de mes premiers chocs littéraires. J'ai d'ailleurs pris plaisir à relire La Curée dans l'édition achetée à l'époque (j'espère qu'au passage Capp appréciera mon vernis rose irisé "à paillettes" comme dit, envieuse, ma grande Demoiselle :-)) :
La Curée aurait pu avoir pour sous-titre "la revanche d'Aristide" car en effet on y retrouve l'un des fils Macquart déjà présent dans La Fortune des Rougon, mais on le découvre sous un tout autre angle. Alors que dans le premier roman c'est un personnage plutôt effacé et caractérisé par ses mauvais choix qui donnent de lui l'image d'un raté, dans La Curée on le retrouve à Paris, changeant de nom (Saccard à la place de Macquart) et on assiste à son étonnante ascension sociale. Malgré ce changement prodigieux, Aristide reste profondément marqué par les travers de son sang : son appât du gain, qui le fait s'enfoncer dans les spéculations les plus malhonnêtes pour accéder au statut dont il rêve, lui fait privilégier l'avoir matériel, enviable mais périssable, aux sentiments, aux émotions, à tout ce qu'il a à portée de main mais qu'il manque, ne leur accordant aucune importance. Chez Zola, l'appétit matériel prive paradoxalement les personnages d'un bonheur pourtant simple et accessible.
Pendant que Saccard se démène pour s'enrichir frauduleusement, sa deuxième épouse, Renée, qu'il a choisie pour ses biens (autant mobiliers que physiques !) s'adonne aux plaisirs de la chair et de l'apparence. Elle aussi se laisse davantage guidée par ses appétits que par sa pensée ce qui la conduit à mettre dans son lit le fils de son mari, Maxime.
La Curée est construit comme une tragédie, on y trouve d'ailleurs des références à Phèdre et c'est bien de cela qu'il s'agit, agrémenté d'un regard quelque peu cynique sur les faux semblants. Paris est au coeur de cette curée et j'ai retrouvé le bonheur de lire les descriptions de ce Paris qu'on connaît aujourd'hui, en train de naître sous la plume de Zola et sous la main de Saccard. Encore un grand Zola !
5 commentaires:
chaque billet que je lis sur Zola me fait envie ! Cet été, je m'y remets !
Comme Dolly, ça me tente de plus en plus :-)
Euh.. puis-je sortir du sujet Zola ?
Ta grande demoiselle a raison ! Waouh, les paillettes !
Mais je ne porte jamais de rose pâle donc je te le laisse !
Bises de Capp
Merci pour ton article.
Je m'occupe de l'ajouter à ma récap'.
RDV le mois prochain ! ;)
Bonjour, voilà je suis lycéenne et j'ai un travail à faire sur Zola et j'ai pensé que, peut-être, tu voudrais bien m'aider...
Voilà ma question : Quelles images et quel statut de la femme sont représentés? Pour moi, on a l'image d'une femme se libérant, une femme "indépendante", mais je ne suis pas tout à fait sure de moi. En fait, la fin a quelque peu changé mon point de vue.. Pourrais-tu m'aider? Merci d'avance :)
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